samedi 14 janvier 2017

Méditerranée : tourisme de masse et protection de l'environnement sont-ils conciliables ?


La Méditerranée qui attire chaque année des centaines de millions de visiteurs. Mais cette activité touristique de masse contribue à fragiliser et détruire son environnement et, par conséquent, à rendre la destination moins attractive. Un phénomène que de nombreux professionnels cherchent à endiguer. Ils prennent des mesures pour réduire leur impact sur la nature. Et, parfois, cela leur permet même de faire des économies. Enquête dans le cadre de l'ouverture de l'année du tourisme durable par l'OMT en 2017.
Si les professionnels du tourisme veulent faire en sorte que la Méditerranée reste une destination attractive pour leurs clients, ils doivent veiller à préserver son environnement - Photo : Eléonore H-Fotolia.com

Avec son climat tempéré tout au long de l'année, ses plages, ses paysages magnifiques et son patrimoine culturel incomparable, la Méditerranée a tout pour attirer les voyageurs.

Ces derniers sont d'ailleurs largement au rendez-vous. Tellement que la Méditerranée est aujourd'hui la première destination touristique au monde.

Elle a accueilli 314 millions de visiteurs en 2014, ce qui représentait alors près de 30% du nombre total des arrivées de touristes internationaux à travers le monde.

Une fréquentation qui ne fait que croître depuis plus de 40 ans sur un rythme qui a tendance à s'accélérer. Selon des estimations de l'Organisation mondiale du tourisme (OMT), si la Méditerranée comptait 58 millions d'arrivées internationales en 1978, leur total atteindra 500 millions en 2030.

L'activité génère un très grand nombre d'emplois dans la région : selon un rapport publié en 2015 par le Conseil mondial du tourisme et des voyages (WTTC), le tourisme concentre 11,3% de l'emploi en Méditerranée.

Le secteur réalise 11,5% du produit intérieur brut (PIB) de la zone.

Malheureusement, les activités liées au tourisme - surtout de masse - en Méditerranée ont souvent pour conséquence la fragilisation, voire la destruction, de l'environnement.

"Le tourisme côtier est une source d'impacts environnementaux graves"

Les activités balnéaires sont, elles aussi, à l'origine d'importantes dégradations environnementales.

Dans son rapport « Promouvoir un tourisme durable et inclusif en Méditerranée » de septembre 2016, Plan Bleu, organisme pour l'environnement et le développement méditerranéen, écrit qu'elles augmentent "le prélèvement de ressources naturelles comme l'eau potable (…) ou encore les aliments" et pèsent "parfois sur la production locale, en particulier celle des produits de la mer (surpêche)".

Pendant les périodes de forte fréquentation touristique en Méditerranée, la consommation électrique explose également en raison du recours à la climatisation ou au chauffage.

Par ailleurs, "le tourisme côtier est une source d'impacts environnementaux graves : par exemple, pollutions marines et d'eau douce dues aux rejets d'eaux usées et aux décharges sauvages de quantités considérables de déchets solides", note Plan Bleu.

"On constate même des aberrations comme l'arrosage des espaces verts en pleine journée dans certains pays du Sud de la Méditerranée", ajoute Julien Le Tellier, chargé de mission pour l'organisme.

Malgré cela, tout porte à croire que les activités touristiques et industrielles liées à la mer vont continuer à se développer au cours des deux décennies à venir.

Dans ce contexte, comment faire pour ne pas freiner le développement touristique, générateur de richesses, tout en veillant à protéger la nature ?

L'environnement : "à la fois notre gagne-pain et quelque chose de fragile"

Surtout que "la Méditerranée est la matière première des professionnels du tourisme. Continuer en faisant comme si de rien n'était équivaut à jouer avec le feu", prévient Guillaume Cromer.

Alors, pour ne pas dégrader irrémédiablement leur « outil de travail », des opérateurs prennent des mesures. Ils font en sorte de maîtriser leurs dépenses énergétiques et limiter leur impact écologique. A plus ou moins grande ampleur.

"Certains professionnels prennent conscience que la destruction de la nature aura des conséquences économiques pour eux. Cela permet de passer du stade des recommandations à celui de l'action", résume Julien Le Tellier.

C'est le cas notamment de Club Med qui dispose d'une équipe de 4 personnes, basées à son siège, pour travailler sur la question du développement durable. Elles sont épaulées par des chargés de mission - les « Green Globe Trotters » - à travers le monde.

Ces derniers sont en relation avec une personne - « Green Globe Coordinateur » - nommée chaque saison dans chaque village Club Med pour relayer la politique du groupe en la matière.

"Il y a quelque chose d'évident qui s'impose à nous : nous sommes présents sur des sites exceptionnels, explique Agnès Weil, directrice du Développement durable pour le Club Med.

Cela nous rend forcément sensibles à la préservation de l'environnement. Nous sommes conscients qu'il s'agit à la fois de notre gagne-pain et de quelque chose de fragile.
"

Chaque saison, tous les G.O. et les G.E. sont sensibilisés à la question du développement durable. Avec des adaptations selon le métier de chaque collaborateur.

Des actions ciblées sont également mises en place selon les spécificités de chaque établissement : protection des phoques-moines en Grèce et en Turquie, charte de bonnes pratiques pour l'observation des cétacés, traitement des eaux usées par jardins filtrants sans produits chimiques au Club Med de Yasmina au Maroc...

Évaluation des risques et des conséquences de l'inaction

Une expertise dont peuvent profiter d'autres acteurs touristiques. "Nous partageons beaucoup sur nos pratiques avec d'autres professionnels, des industriels et les autorités", poursuit Agnès Weil.

Elle a participé à des ateliers dédiés aux hôteliers dans le cadre de la COP 22 qui s'est tenue du 7 au 18 novembre 2016 à Marrakech (Maroc). "Avec les professionnels du tourisme, nous sommes plus en coopération qu'en compétition", résume-t-elle.

Pourtant, certains tour-opérateurs et hôteliers qui travaillent en Méditerranée, même s'ils sont conscients de participer à la destruction de l'environnement, hésitent encore à « verdir leurs activités ». Ils craignent que cela représente un investissement trop important.

"C'est le coût de l'inaction qui détermine celui de l'action, leur répond la directrice du Développement durable du Club Med.

Tout réside dans l'évaluation des risques environnementaux, légaux et d'ancrage local avec la possibilité, si on ne fait rien, de se retrouver face à des conflits sociaux avec les conséquences qu'on imagine en termes d'image en externe comme en interne."

Selon elle, "parfois, l'implantation d'un Club Med permet même de préserver des espaces qui auraient pu être voués à des activités bien moins respectueuses de l'environnement", comme l'agriculture intensive ou la construction urbaine, par exemple.

De son côté, Guillaume Cromer considère que "le comportement rationnel voudrait qu'on limite les flux touristiques. Mais cela placerait les voyages dans une logique élitiste. Et ça, c'est un sujet tabou."

Le directeur d'ID-Tourisme évoque aussi la possibilité de mettre en place des « quotas carbone » pour les touristes. Mais là aussi, la démarche est inégalitaire : les plus fortunés pourraient acheter aux plus pauvres leurs quotas pour voyager plus.

Notons toutefois qu'un système similaire existe déjà dans certains parcs nationaux des États-Unis. Le nombre de visiteurs y est limité et le droit d'entrée très élevé pour éviter la sur-fréquentation.

Observatoires locaux et diversification de l'offre

"Je suis plus partisan de l'intervention des autorités que d'une prise de conscience de la part des consommateurs", prône Guillaume Cromer.

Sur ce point il est rejoint par Julien Le Tellier, de Plan Bleu : "nous penchons pour la création d'observatoires locaux du tourisme à l'échelle de chaque territoire."

L'organisme est aussi partisan d'un modèle de planification touristique par les autorités et de solutions pour éviter que certaines régions soient dépendantes quasiment à 100% de l'arrivée de touristes.

Dans son mémoire « Le secteur touristique et les enjeux de durabilité dans les pays en développement. Quelle combinaison vertueuse ? », Tom Tambaktis, étudiant en Master 2 de Développement territorial à l'université d'économie et de gestion d'Aix-Marseille, avance d'autres solutions.

Il évoque, entre autres, le "besoin de diversifier l'offre en passant du « tout balnéaire » à des produits alternatifs".

Mais, selon lui, cette transition doit "s'accompagner d'une diversification de la clientèle, en passant d'une clientèle « toute internationale » vers un mix domestique/régional/international plus dilué et davantage résilient."

En effet, les marchés domestiques et régionaux sont généralement moins sensibles aux crises d'ordre économique ou sécuritaire et connaissent mieux la situation locale. Ce qui permet aux touristes concernés de relativiser les risques encourus.

En agissant pour faire évoluer à la fois les modes de production et de consommation, il est encore possible de préserver la Méditerranée et, par ricochet, son tourisme.

Mais attention au « green-washing », prévient Julien Le Tellier : "Il faut rester vigilant et bien distinguer les solutions qui ont un impact réel de celles qui ont un objectif plus marketing..."

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